extrait de l'observatoire des retraites
Les origines de la retraite
L’Ancien régime
Les premiers régimes de retraite apparaissent sous l’Ancien Régime. En 1673, Colbert, ministre de Louis XIV, crée la caisse des invalides de la marine, aujourd’hui Etablissement National des Invalides de la Marine. Ce régime assure une pension à ceux qui ne peuvent plus travailler, l’âge ne constituant que l’une des causes possibles de leur état d’invalidité. C’est seulement en 1784 que ce régime distinguera la pension d’invalidité de la pension de vieillesse attribuée à 60 ans. Il couvre la marine de pêche et de commerce.
La marine de guerre, comme les militaires et d’autres catégories directement au service du Roi, pouvaient également bénéficier de pensions. Les agents des fermes générales (aujourd’hui les fonctionnaires des impôts, mais à l’époque personnels d’entreprises privées) avaient créé leur propre caisse en 1768.
De la Révolution au XIXe siècle
La Révolution multiplie les déclarations d’intention tout en détruisant les bases de la protection sociale existante : interdiction des corporations qui assuraient une solidarité professionnelle, nationalisation des biens du clergé qui assurait l’assistance. C’est le Directoire qui rétablira les fonds de pension des fonctionnaires. Le Consulat crée le franc Germinal en 1803, ouvrant un siècle de stabilité monétaire qui permettra l’essor de l’épargne et de la rente. L’Empire autorise en 1808 les sociétés de prévoyance. Mais elles se limitent à la maladie. Le rôle de la mutualité en matière de retraite restera marginal, même après la loi de 1898 l’autorisant plus largement à gérer de la retraite et de l’assurance vie.
En 1850 est créée une Caisse Nationale des Retraites, gérée par la Caisse des Dépôts et Consignations. Elle offre aux particuliers des rentes viagères, et aux régimes d’entreprise la gestion de leurs réserves.
En 1853, les divers fonds de pension des fonctionnaires sont remplacés par un droit de chaque fonctionnaire inscrit au « grand livre de la dette publique » et financé par le budget courant de l’État. C’est la naissance de l’actuel régime des pensions civiles et militaires.
Par ailleurs, le développement de l’industrie s’accompagne de la création de retraites d’entreprise. Certains secteurs stratégiques tels les mines, les chemins de fer, les industries électriques et gazières, finiront par être couverts chacun par un régime propre (respectivement en 1894, 1909 et 1938). Mais les régimes d’entreprise, généralement sous-provisionnés, n’offrent guère de garantie en cas de faillite. Divers scandales, dont celui de la compagnie de Bessèges en 1888, amènent le parlement à adopter en 1895 une loi dite des garanties qui réglemente les caisses patronales, posant des exigences de provisionnement et les soumettant au contrôle de l’État. Cette réglementation aura un effet dissuasif sur le développement des retraites d’entreprise.
C’est le XXème siècle qui voit l’extension de la retraite à l’ensemble de la population active, salariée et non salariée.
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La généralisation de la retraite
Dès 1890, un débat s’ouvre sur l’opportunité d’imiter ou non l’exemple de l’assurance pension créée par le chancelier Bismarck dans l’Empire allemand, y compris l’Alsace et la Moselle. Deux conceptions s’opposent : obligatoire ou facultatif, charité et paternalisme ou droit du salarié.
1910 : les rentes ouvrières et paysannes (ROP)
Ce débat aboutit en 1910 à la création des rentes ouvrières et paysannes inspirées du modèle germanique : obligatoire pour les salariés payés en dessous du plafond dit d’assujettissement, financées par les salariés, les employeurs et l’État, elles sont gérées en capitalisation par des organismes librement choisis par les employeurs. En revanche, à la différence de l’assurance pension allemande, les rentes ouvrières et paysannes se limitent à la couverture du seul risque vieillesse avec une pension versée à 65 ans, âge ramené à 60 ans dès 1912. C’est une erreur qui les rend peu attractives et leur vaudra le qualificatif de « retraite pour les morts » de la part de certaines organisations syndicales. En effet, l’espérance de vie à la naissance n’atteignait pas cet âge. Cette erreur, ni Colbert, ni Bismarck ne l’avaient commise. Comme le régime des marins, l’assurance pension allemande couvre les risques invalidité et vieillesse. Jusque dans les années soixante, la majorité des assurés allemands bénéficieront de l’assurance pension au titre de l’invalidité, avant d’atteindre ou non l’âge de la retraite.
De plus, en refusant aux employeurs le droit de contraindre leurs salariés à cotiser, la jurisprudence ruine le caractère obligatoire des rentes ouvrières et paysannes. A la veille de la première guerre mondiale, seul un million de salariés sur un potentiel de quatre millions sont affiliés.
1930 : les assurances sociales
Le débat reprend après la première guerre mondiale et aboutit, dans l’indifférence des intéressés, à la création en 1930 des assurances sociales couvrant les risques maladie, invalidité et décès d’une part, vieillesse d’autre part. Les caractéristiques du modèle adopté en 1910 demeurent. Mais, cette fois-ci, le caractère obligatoire s’impose effectivement. La gestion des assurances sociales des salariés agricoles est confiée à la Mutualité Agricole.
Le plafond d’assujettissement exclut les catégories de salariés les mieux payés, ingénieurs et cadres notamment. Le mouvement patronal à l’origine des allocations familiales dans les années vingt s’intéresse aux autres risques, dont la retraite. Des caisses interentreprises se créent, tant pour gérer les assurances sociales que pour offrir un équivalent aux salariés payés au-dessus du plafond.
1937 : les premiers accords paritaires
La création par le Front populaire d’un cadre légal permet la signature d’accords de branche couvrant, pour les catégories exclues des assurances sociales, les mêmes risques que les assurances sociales. C’est le début du paritarisme avec, en 1937, un accord signé entre l’Union des Industries Métallurgiques et Minières et la Fédération Nationale des Syndicats d’Ingénieurs, accord instituant un régime de prévoyance et de retraite pour les ingénieurs « non assujettis à la loi sur les Assurances sociales ». Il est suivi d’accords semblables dans les secteurs de la chimie, de l’aéronautique et des travaux publics. En 1945, plus de 200 000 salariés seront ainsi couverts par des régimes privés, créés par convention collective, et « reconnus d’équivalence » au régime de base dès lors qu’ils assurent une protection au moins équivalente.
1941 : l’allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), financée en répartition
La capitalisation demeure la règle pour le financement. Ce mécanisme repousse à 1960 le versement par les assurances sociales des premières retraites complètes, égales à 40% du salaire moyen de carrière. D’où un débat entre les partisans de l’orthodoxie financière et morale (pas de « déjeuner gratuit » comme disent les économistes) et les partisans de la répartition qui permettrait de verser immédiatement des retraites. Ce débat sera tranché en 1941 avec la création de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, attribuée sous condition de ressources, mais sans lien avec la durée de cotisation.
1945 : l’assurance vieillesse du régime général de Sécurité sociale et la généralisation des retraites de Sécurité sociale
Influencé par le rapport de Lord Beveridge publié en 1942, rapport qui prône une couverture forfaitaire de toute la population, le Conseil National de la Résistance prévoit « un plan complet de Sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils seront incapables de se les procurer par le travail». Le régime général de Sécurité sociale, créé par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, sera presque général pour la branche famille, moins pour la maladie, et pas du tout pour la retraite. La gestion des salariés agricoles demeure confiée à la Mutualité Sociale Agricole. Les régimes de retraite existants sont maintenus à titre provisoire.
La priorité est donnée aux allocations familiales qui absorbent la moitié des ressources du régime. Malgré un passage de fait au financement en répartition, la pension d’assurance vieillesse du régime général demeure proportionnée à la durée de cotisation (en dehors de l’allocation sous conditions de ressources créée en 1941) et d’un montant très faible, celui des assurances sociales. Tous les salariés qui bénéficient de régimes plus anciens et plus favorables refusent de rentrer dans l’assurance vieillesse du régime général. Les multiples régimes des collectivités locales sont regroupés dans une Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales en 1945. Les transports parisiens créent leur régime en 1948. Ce sont les régimes dits « spéciaux ».
Les travailleurs indépendants, qui souhaitent cotiser le moins possible et comptent sur leur épargne et la revente de leur capital professionnel, créent de leur côté les régimes dits « particuliers » : en 1948 la Cancava (artisans), l’Organic (commerçants et industriels) et la CNAVPL (professions libérales); en 1952 la retraite des exploitants agricoles.
En définitive, dans le domaine des retraites, l’impact de la création du régime général de Sécurité sociale en 1945 est d’abord administratif. La gestion de l’assurance vieillesse n’est plus effectuée par des institutions diverses choisies par les entreprises, mais par des caisses de Sécurité sociale gérées par des conseils élus par les travailleurs. Mais le régime général contribue aussi à la généralisation de la retraite, non pas en son sein, mais par réaction, soit pour avoir mieux, soit pour payer moins. Fin 1952, la plupart des catégories professionnelles sont couvertes par un régime de retraite de base. Enfin, le plafond d’exclusion devient un plafond de cotisation et de droits, les cadres étant affiliés au régime général à partir de 1947. Mais ce qui aurait dû devenir la règle générale, un régime de base commun à tous les travailleurs complété par des régimes « chapeaux » propres à certaines professions ou entreprises, demeure limité aux seuls cadres. La retraite de base reste
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Les régimes de retraite complémentaire
1947 : la création de l’Agirc
Les cadres souhaitaient eux aussi créer leur propre régime spécial à partir des régimes de branche et des caisses interentreprises déjà existantes. Ils n’obtinrent, par la grève, que le droit de créer un régime complémentaire à la Sécurité sociale. L’accord du 14 mars 1947, premier accord national interprofessionnel signé en France, innove radicalement avec le recours à la technique par points, la gestion paritaire depuis la négociation des dispositions jusqu’à la gestion des caisses fédérées par l’Association Générale des Institutions de Retraite des Cadres (Agirc), et l’application de la répartition dans toutes ses conséquences : le régime sert des retraites à tous ceux qui relèvent ou ont relevé de son champ d’application comme s’il avait toujours existé. Ce faisant, il verse immédiatement une retraite à des catégories dont l’épargne a été rapidement réduite à néant par l’inflation qui avoisine 50 % par an entre 1945 et 1948. Cent francs début 1945 ne représentent plus fin 1951 que 10 francs en pouvoir d’achat…
L’après-guerre voit en effet s’opérer une gigantesque dévalorisation de l’épargne accumulée[1]. Les rentes n’étant pas indexées, leur pouvoir d’achat devient en quelques années dérisoire. Cette « faillite » de la capitalisation, dont les conséquences dramatiques furent limitées par la création des régimes en répartition, marquera profondément les esprits et conduira au « tout répartition » en matière de retraite. De plus, jusque dans les années soixante dix, le rendement des obligations et emprunts d’État demeurera nul ou négatif. Les régimes créés en capitalisation ou, plus souvent, en mixte répartition - capitalisation, ne furent sauvés que par le passage à la répartition pure. Et cette situation dissuada d’accumuler trop de réserves, celles-ci fondant au fur et à mesure de leur constitution.
Le régime des cadres devient la référence en matière de retraite, à l’égal du régime des fonctionnaires. D’autant plus que le développement rapide du salariat, et celui, plus rapide encore, de l’encadrement, pendant les « trente glorieuses » années qui suivent la guerre, permet au régime, non seulement de faire échec à l’inflation, mais de faire progresser les retraites au rythme des salaires et de développer une politique sociale généreuse.
Ce succès, ainsi que la modicité de la pension de base, provoquent une multiplication d’accords d’entreprises et de branches créant des régimes complémentaires pour les salariés non-cadres, souvent avec le concours technique des compagnies d’assurance. Ce foisonnement de régimes et d’institutions entraîne des situations très différentes pour les salariés. De plus, le recours à la répartition dans un cadre démographique restreint ne va pas sans danger pour la pérennité de ces régimes. Les partenaires sociaux tentent de les organiser en créant, par accord du 15 mai 1957 l’Unirs (Union Nationale des Institutions de Retraite des Salariés), régime unique ayant vocation à accueillir les institutions de retraite complémentaire créées pour les non cadres. L’Unirs permet une compensation financière sur une base démographique élargie. Mais les régimes ayant un meilleur équilibre démographique que l’Unirs estiment préférable de conserver leur indépendance. Demi-succès, demi-échec, l’Unirs laisse subsister une cinquantaine de régimes « non-cadres » indépendants.
1961 : la création de l’Arrco
Tirant les leçons de cette situation, les partenaires sociaux signent le 8 décembre 1961 un nouvel accord créant l’Association des régimes de retraite complémentaire (Arrco). L’Arrco a pour mission de compenser, coordonner et assurer la pérennité des régimes de retraite destinés aux non cadres. L’ensemble de régimes ainsi fédérés est disparate. Le rendement varie sensiblement d’un régime à l’autre et, si le calcul de la retraite en points constitue le modèle dominant, on trouve des régimes calculant les droits en % des dernières années de carrière. Peu à peu, cet ensemble s’homogénéisera pour aboutir au 1er janvier 1999 à un régime unique Arrco qui devient l’« Association pour la retraite complémentaire des salariés ».
1972 : la généralisation des retraites complémentaires
La plupart des accords de branche signés par les partenaires sociaux ont été étendus et élargis par les pouvoirs publics, ce qui les a rendus applicables aux entreprises non- adhérentes aux organisations patronales signataires. Mais cela laissait de côté environ un million de salariés et 500 000 retraités de secteurs non représentés dans ces organisations patronales, petits commerces, hôtellerie, entreprises de travail temporaire, certaines professions libérales, certaines associations, etc. D’où, à la demande des partenaires sociaux, l’adoption de la loi du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire pour les salariés relevant pour leur retraite de base du régime général et de la Mutualité Sociale Agricole. Cette loi fait obligation aux entreprises concernées d’affilier leurs salariés à un régime complémentaire sans autre précision. Si l’Agirc et l’Arrco regroupent l’essentiel des salariés, coexistent des régimes de branches (Banque, Assurances, personnels des organismes de Sécurité sociale, une partie des salariés agricoles, personnels au sol d’Air France, personnels des Caisses d’épargne, etc.). Peu à peu, ces régimes vont s’intégrer à l’Agirc et à l’Arrco dont le rôle est renforcé par la loi du 8 août 1994. Cette loi transpose des directives communautaires et crée dans le Code de la Sécurité sociale un livre IX relatif « à la protection sociale complémentaire des salariés et aux institutions à caractère paritaire ». Les régimes Agirc et Arrco se voient reconnaître une mission d’intérêt général et sont chargés d’assurer la compensation des opérations des institutions de retraite complémentaire en répartition et de les contrôler. Les institutions restées en dehors de cette compensation sont tenues, soit de la rejoindre, soit de provisionner leurs engagements, c’est-à-dire de fonctionner en capitalisation.
Dans le secteur public, l’Ipacte est créée en 1951 pour les cadres non titulaires et l’Igrante en 1959 pour les agents non titulaires. Les deux régimes fusionneront en 1971 pour former l’Ircantec De leur côté, les professions indépendantes établissent leurs propres régimes complémentaires de retraite. Avec les agriculteurs (2002), les commerçants (2004) les fonctionnaires et les agents des collectivités locales (2005), les ministres des cultes qui rejoignent l’Arrco (2006) et les sages-femmes qui rejoignent les dentistes (2008), la presque totalité des professions bénéficient aujourd’hui d’un régime complémentaire obligatoire. Seuls les assurés de quelques régimes spéciaux (chemins de fer, gaz et électricité, transports parisiens, clercs et employés de notaire, marins, Banque de France, Comédie française, Opéra de Paris…) demeurent sans véritable régime complémentaire obligatoire